La consécration de l’autonomie du préjudice d’attente et d’inquiétude en cas de décès d’un proche

Par un important arrêt de la chambre mixte du 25 mars 2022, la Cour de cassation a reconnu l’autonomie du préjudice d’attente et d’inquiétude éprouvé par les proches d’une victime directe (Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, n°20-17.072. – Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, n°20-15.624, publié au bulletin : note P.Jourdain : JCP G 2022,513).

L’espèce concernait les proches d’une victime de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, qui étaient demeurés sans nouvelle de leur ascendant durant quatre jours avant d’être fixés sur son sort, en l’occurrence son décès.

La cour d’appel de Paris dans un arrêt confirmatif du 30 janvier 2020 a jugé qu’un tel préjudice ne pouvait se confondre avec aucun des postes faisant l’objet de l’offre du FGTI et qu’il convenait donc, comme l’avait fait le premier juge d’accorder à ce titre 20 000 € à sa fille et 5000 € à chaque petite fille en sus des indemnités accordées au titre du préjudice d’affection et du PESVT (préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme). Au soutien de son pourvoi, le FGTI dénonçait une double indemnisation du préjudice d’affection.

La question n’ayant encore jamais été posée à la Cour de cassation, une chambre mixte fut saisie et rejeta le pourvoi du FGTI consacrant ainsi l’existence d’un poste de préjudice autonome

La Cour de cassation conclut est ainsi son arrêt : « il résulte de ce qui précède que le préjudice d’attente et d’inquiétude, que subissent les victimes par ricochet ne se confond pas, ainsi que le retient exactement la cour d’appel, avec le préjudice d’affection, et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome.
Il s’ensuit que c’est sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel a accueilli les demandes présentées au titre de ce préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude ».

Dans son arrêt de principe, la Cour de cassation définit ainsi le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches :

« les proches d’une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve où s’est trouvée exposée, à l’occasion d’un événement individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l’incertitude pesant sur son sort.
La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposés au péril, et qui naît de l’attente et de l’incertitude, étant soi constitutive d’un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l’événement.
Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l’événement par les proches et leurs connaissances de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique et ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement ».

S’agissant des éléments constitutifs, il s’agit ici d’un préjudice temporaire, extrapatrimonial, de la victime par ricochet. Celui-ci pourra être reconnu tant dans l’hypothèse d’un décès que de survie de la victime principale.

Le contenu intrinsèque de ce préjudice d’attente et d’inquiétude, désigne donc une souffrance en lien avec une situation de péril, de l’être aimé, situation bien définie dans sa nature et sa temporalité.

Le préjudice s’analyse tant du point de vue de la victime directe qui doit être exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, étant précisé que l’événement qui fait naître ce péril est conçu largement puisqu’il peut être « individuel ou collectif », que du point de vue des proches, par rapport à un espace-temps qui commence au moment où ils découvrent l’exposition d’un proche au péril et qui s’achève lorsqu’ils ont connaissance de son sort.

S’agissant de la technique d’évaluation, afin d’évaluer la nature et l’intensité du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches, on pourra s’inspirer des éléments détaillés dans le livre blanc des avocats de victimes d’attentat (p.52 et s.), comme par exemple :

  • Le lien affectif avec la victime directe
  • Le moment de la connaissance de l’événement
  • Le moment de la connaissance de la présence du proche sur les lieux
  • Le moment est le vecteur de l’information sur l’état de santé
  • L’évolution de l’information sur l’état de santé etc.

S’agissant des éléments probatoires, comme pour les autres préjudices par ricochet, il conviendra de démontrer la réalité et l’intensité des liens entretenus entre le blessé et le proche, qui sera croissant selon qu’il s’agira d’un lien de parenté en ligne directe, par alliance ou encore d’un lien d’une autre nature, amical notamment.

S’agissant du chiffrage financier, trop de décisions ont été rendues à ce jour pour donner une appréciation suffisamment étayer du chiffrage indemnitaire. On l’évaluera entre 5000 et 20 000 € en l’état des pertes des premières données disponibles.

Barbara SIBI, Docteur en Droit pénal

Avocat au Barreau de Paris

Barbara SIBI – Avocat à la Cour

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